QUE VEUT VRAIMENT ZEMMOUR FAIRE DU PAF ?
ZEMMOUR ET L’AUDIOVISUEL PUBLIC : HYPOTHÈSES, CHIFFRES ET STRATÉGIE
Basé sur les propositions connues de sa campagne 2022, ce dossier explore ce qu’Éric Zemmour envisageait de faire avec le paysage audiovisuel français. Suppression de la redevance, privatisation partielle, critiques envers l’Arcom : entre projet idéologique et stratégie électorale, une enquête spéculative mais sourcée signée Opinion Day®.
ZEMMOUR, LE PAF ET LA GUERRE CULTURELLE FRANÇAISE
ZEMMOUR, LE PAF ET LA GUERRE CULTURELLE FRANÇAISE
LE PAF, LE CANDIDAT ET L’ÉCRAN
C’est un duel étrange. D’un côté, un homme devenu célèbre grâce à la télévision. De l’autre, un système audiovisuel public qu’il rêve de désarmer. Éric Zemmour face au PAF : le paradoxe n’est qu’apparent. Il est le produit le plus abouti d’un média français en décomposition, et son critique le plus radical. Depuis ses débuts dans On n’est pas couché jusqu’à Face à l’info, le polémiste devenu candidat s’est forgé dans les studios avant de lancer son offensive contre ceux qui l’ont vu naître. L’histoire d’un homme et d’un paysage audiovisuel, liés comme le feu et la poudre.
La télévision française n’est pas une machine neutre. Elle est un champ de pouvoir. Et en 2022, au cœur d’une campagne présidentielle survoltée, Zemmour y a projeté une vision claire : un PAF qui ne soit plus le reflet d’un progressisme d’État, mais l’instrument d’une reconquête culturelle nationale. Supprimer la redevance. Privatiser France Télévisions et France Inter. Sauvegarder Arte. Redéfinir la mission culturelle publique. Déréguler ce qui serait devenu un « monopole idéologique ». Sa stratégie n’était pas de réformer l’audiovisuel, mais de le réarmer au service d’un projet : refaire aimer la France à travers ses écrans.
Derrière ces propositions, une intuition : l’information, la fiction, le divertissement sont des armes politiques. Ceux qui détiennent les images, détiennent la culture. Et ceux qui contrôlent la culture, façonnent les peuples. Le combat de Zemmour contre le PAF n’est donc pas une lubie de campagne. C’est la déclinaison audiovisuelle d’une guerre plus large celle pour la souveraineté culturelle. Là où certains voient un affront aux libertés, d’autres y lisent une réponse au désarmement symbolique de l’État-nation. La télévision, en France, n’est pas seulement une industrie : elle est une arène. Zemmour l’a comprise comme telle.
📍UN CANDIDAT NÉ DE L’ÉCRAN
Avant d’être un adversaire du système, Zemmour en a été l’une de ses vedettes. Non pas par compromission, mais par incarnation. Il ne s’est pas contenté d’utiliser les médias : il les a détournés, retournés, absorbés. Dès les années 2000, alors que le débat public s’enlise dans les fausses symétries, lui entre dans l’arène par la grande porte : chroniqueur régulier au Figaro, plume conservatrice assumée, il déboule sur le plateau de On n’est pas couché avec la brutalité d’un pamphlétaire de Troisième République. Il dérange, il clive, il récite Chateaubriand pendant que les autres vendent leur dernier album. Le téléspectateur accroche.
Entre 2006 et 2011, France 2 fait de lui une figure hebdomadaire. Puis I-Télé, avec Ça se dispute. Puis RTL. Mais c’est CNews qui, en 2019, l’installe comme force centrale de l’opinion télévisuelle. Face à l’info devient un rituel. Le ton, le rythme, l’image : tout est calibré. Zemmour n’improvise pas, il structure. Il ne polémique pas, il démonte. L’émission devient un laboratoire idéologique en prime-time. Le CSA (devenu Arcom) le repère. L’Élysée le redoute. Les chaînes concurrentes l’imitent. Il devient à lui seul un canal alternatif dans un canal mainstream.
Son ascension est double : audience et impact. Jusqu’à 1,7 million de téléspectateurs en direct, parfois davantage que des programmes de divertissement. Sur X, ses citations deviennent des mèmes politiques. Les universités lui consacrent des mémoires. Quand il annonce sa candidature à la présidentielle, le choc est esthétique : un discours filmé comme un montage de Leni Riefenstahl, voix posée, musique classique, images de grandeur. Il ne fuit pas l’image : il la manipule. Il ne quitte pas la télévision : il en fait son cheval de guerre.
Ce passé médiatique explique pourquoi sa critique du PAF ne peut être résumée à un règlement de comptes. Elle est plutôt le cri d’un insider qui a vu le cœur de la machine. Il ne déteste pas la télévision. Il veut qu’elle cesse de haïr la France.
📍 LA REDEVANCE OU LE RACKET CULTUREL ?
« Pourquoi devrions-nous payer pour être insultés ? » La phrase, prononcée par Éric Zemmour lors d’un meeting à Lille en février 2022, déclenche des acclamations. Elle résume en une formule brutale l’angle qu’il choisit pour aborder la question de la redevance audiovisuelle : un impôt imposé à tous, pour financer des chaînes publiques que beaucoup accusent de ne plus représenter le peuple. Montant : 138 euros. Portée : 23 millions de foyers. Finalité : un budget de 3,7 milliards d’euros, principalement pour France Télévisions et Radio France.
Pour Zemmour, la redevance n’est pas seulement injuste. Elle est illégitime. Elle incarne un système où l’État contraint les citoyens à financer une vision du monde qu’ils ne partagent pas. « L’État vous oblige à payer pour votre propre effacement », résume-t-il à ses partisans. Ce n’est pas une analyse comptable : c’est une analyse de domination. Dans son programme Pour que la France reste la France, la suppression de la redevance est présentée comme un acte de libération culturelle, au même titre que la suppression d’un ministère idéologique.
Marine Le Pen proposait la même mesure. Emmanuel Macron l’a concrétisée. Mais là où Macron y voyait un ajustement budgétaire, Zemmour y voit une rupture civilisationnelle. Il ne veut pas remplacer la redevance par une dotation d’État via la TVA, comme l’a fait l’exécutif. Il veut transformer l’usage même des fonds. L’État, selon lui, ne doit plus financer ce qu’il appelle une « propagande post-nationale ». La télévision publique ne peut pas rester un totem vide dans une France fragmentée.
L’Institut Montaigne a chiffré la proposition de Zemmour : jusqu’à 1,2 milliard d’économies annuelles. Mais la question n’est pas tant budgétaire que symbolique. Supprimer la redevance, c’est frapper le cœur du modèle français de l’exception culturelle. C’est dire : « Nous n’avons plus besoin d’un service public pour dire ce que la France est. » Pour ses partisans, c’est un soulagement. Pour ses adversaires, c’est un sacrilège. Pour Zemmour, c’est une nécessité. « L’ORTF était gaulliste, aujourd’hui il est mondialiste », dit-il. Il ne veut pas le réparer. Il veut le refonder.
📍PRIVATISER SANS DÉTRUIRE ? LE PARADOXE FRANÇAIS TÉLÉVISÉ
Zemmour n’est pas un ultralibéral. Il ne propose pas de tout vendre à la découpe. Il ne veut pas « liquider » l’audiovisuel public, mais l’émonder, comme un arbre devenu trop épais, trop incliné, trop déviant. À ceux qui l’accusent de vouloir saborder France Télévisions, il répond : « Je veux qu’on distingue entre ce qui informe et ce qui endoctrine. » Cette logique du tri le bon grain et l’ivraie structure toute sa vision du PAF.
Dans son programme présidentiel de 2022, il distingue trois groupes de chaînes :
À privatiser : France Télévisions (France 2, France 3, France 5), France Inter. Des chaînes jugées idéologiquement biaisées, trop politisées, trop subventionnées. Il estime qu’elles sont devenues des « instruments de guerre culturelle progressiste ».
À préserver : Arte, France Culture, et certains volets éducatifs de France 5. Parce qu’elles incarnent, selon lui, l’« excellence française », le savoir, la transmission des fondamentaux. Zemmour cite volontiers les documentaires historiques d’Arte ou les émissions de philosophie comme Les Chemins de la philosophie.
À redéployer : des chaînes ou formats qui pourraient renaître sous une ligne patriotique claire, valorisant la littérature, la géographie, l’histoire, l’armée, le génie français.
La privatisation, dans cette optique, n’est pas un acte économique, mais un acte stratégique. En 1987, la vente de TF1 au groupe Bouygues avait déjà montré qu’une chaîne publique peut devenir commerciale au prix d’une perte d’ambition culturelle. Pour Zemmour, c’est un risque assumé. Il préfère un audiovisuel privé imparfait qu’un service public engagé contre le pays. Il veut désintoxiquer, pas entretenir. Il veut que France 2 cesse d’être, selon lui, « le canal officiel du reniement national ».
Mais ses adversaires le pressent de questions précises : qui rachètera ces chaînes ? Bolloré ? Altice ? Des groupes étrangers ? Comment garantir la qualité ? Qui arbitrera ce qui est jugé « patriotique » ou non ? Zemmour ne répond pas toujours. Car ce qu’il vise, c’est le déplacement du centre de gravité : forcer le débat public à reconnaître que France Télévisions n’est pas neutre, que France Inter n’est pas l’écho du peuple. Et qu’un service public sans adhésion nationale est un organe creux.
Privatiser, pour lui, ce n’est pas vendre. C’est délégitimer.
📍LE PAF COMME ARME DE GUERRE CULTURELLE
Zemmour ne voit pas le paysage audiovisuel français comme un terrain neutre. Pour lui, le PAF est une arme. Et dans cette guerre culturelle qui ne dit pas son nom, l’ennemi n’est pas toujours celui qui parle fort, mais celui qui formate en silence. Derrière les talk-shows, les séries, les fictions du soir, il détecte un fil idéologique : multiculturalisme, repentance, mondialisme, progressisme. Un monde où la France est toujours suspecte, où ses racines sont jugées toxiques, où la grandeur devient gêne. Il ne veut pas seulement rééquilibrer ce monde : il veut le réorienter.
Dans ses discours, dans ses livres, sur les plateaux de CNews, il répète inlassablement que le rôle d’un audiovisuel public n’est pas de refléter l’époque mais de la structurer. Il faut cesser de raconter la France comme un pays en déclin, fragmenté, honteux. Il faut produire autre chose : des récits de continuité, des images de beauté, des voix d’attachement. Ce n’est pas une nostalgie, c’est une reconquête symbolique.
Zemmour ne croit pas au pluralisme tel qu’il est défini par l’Arcom. Pour lui, offrir une diversité de points de vue n’a aucun sens si le socle commun est sapé. Il préfère un déséquilibre assumé qu’un simulacre d’équilibre sur fond de renoncement. Le PAF, selon lui, devrait jouer un rôle de colonne vertébrale culturelle. Il ne devrait pas flatter les fractures, mais donner forme à l’unité. Et si cette unité dérange certains, c’est qu’elle leur rappelle ce qu’ils ont voulu effacer.
Il ne s’agit donc pas de limiter les libertés d’expression, mais de fixer une mission claire. L’audiovisuel public n’est pas un espace de liberté indistincte. Il est une institution. À ce titre, il doit porter la mémoire, la langue, les mythes fondateurs. Ceux de Jeanne d’Arc, de Napoléon, de Hugo, pas ceux de la repentance éternelle ou des décolonisations victimaire.
Cette vision choque les défenseurs d’un PAF moderne, inclusif, ouvert sur le monde. Mais Zemmour ne cherche pas à leur plaire. Il veut rétablir un lien entre l’écran et le peuple. Redonner au service public la capacité de faire aimer la France, sans filtre, sans culpabilité, sans acrimonie. Il ne propose pas un programme : il propose un récit.
📍 LES ENJEUX ÉCONOMIQUES CACHÉS DU PAF
Derrière les grandes déclarations sur la culture, la guerre des récits et l’identité nationale, il y a une donnée que Zemmour ne perd jamais de vue : l’argent public. Pour lui, le service audiovisuel tel qu’il existe est non seulement biaisé idéologiquement, mais ruineux stratégiquement. Il estime qu’il fait payer à la nation un double prix : celui de son effacement culturel, et celui de sa propre faillite budgétaire.
À ses yeux, l’erreur cardinale du système n’est pas d’avoir voulu défendre une ambition publique, mais d’avoir refusé d’adapter son modèle à la réalité du marché. France Télévisions, c’est en 2021 près de 3 milliards d’euros de budget, pour des audiences en baisse, des coûts de production souvent opaques, et une dépendance croissante aux dotations de l’État. La comparaison avec TF1 est là pour appuyer son raisonnement : la première chaîne privée, privatisée en 1987, produit des audiences comparables avec des moyens moindres et une rentabilité commerciale assurée par la publicité.
Zemmour observe ce déséquilibre avec colère. Pourquoi maintenir à bout de bras une télévision publique généraliste qui perd sa fonction de repère national, alors qu’elle est concurrencée sur tous les fronts : par les chaînes privées sur le divertissement, par les plateformes américaines sur la fiction, et par les réseaux sociaux sur l’information rapide ? À quoi bon maintenir artificiellement un modèle centralisé, quand la demande réelle se fragmente, et que l’offre culturelle nationale est portée par d’autres acteurs ?
Pour lui, c’est une question d’efficience. Non pas d’orthodoxie libérale, mais de cohérence stratégique. Il ne veut pas que les impôts des Français financent des séries molles, des talk-shows progressistes, ou des débats truqués. Il veut que chaque euro investi dans l’audiovisuel ait une finalité claire : diffuser le savoir, soutenir le cinéma français, éduquer les jeunes, renforcer la cohésion nationale.
Le mot d’ordre, ici, c’est sélection. Sélection dans les financements, sélection dans les priorités, sélection dans les formats. Il ne dit pas que tout doit être rentable. Il dit que tout doit être utile. Une chaîne comme France 2, selon lui, n’a plus de justification structurelle. Elle duplique ce que font les chaînes privées, mais sans la contrainte de l’audience. Elle devient un bastion, pas une vitrine.
C’est pour cela que Zemmour propose une privatisation ciblée, pas massive. Il ne veut pas créer un désert médiatique, mais un marché rééquilibré. Il ne rêve pas d’un PAF vendu aux enchères, mais d’un PAF filtré par le mérite. Et ce mérite, dans sa vision, n’est pas d’être rentable à tout prix : c’est d’être fidèle à une mission de civilisation.
📍 LE RÉCIT NATIONAL EN DANGER
Derrière les chiffres, les programmes et les régulations, il y a une obsession qui traverse toute la pensée de Zemmour : la France n’est plus racontée. Ou plutôt, elle est racontée contre elle-même. Et selon lui, le PAF n’est pas seulement complice de cette trahison culturelle : il en est l’un des agents principaux.
Zemmour ne parle pas de la télévision comme un simple canal de diffusion. Il y voit une fabrique de récits, un atelier de symboles. Et ce qu’il observe, c’est une entreprise de démantèlement du roman national. Des émissions qui moquent les grandes figures de l’Histoire. Des fictions qui valorisent le présentisme, la culpabilité, l’indifférenciation. Des documentaires où l’immigration devient le seul fil rouge du XXe siècle français. Des débats où la France serait toujours à l’origine du mal. Ce n’est pas une dérive éditoriale : c’est une stratégie d’érosion.
Selon lui, cette dérive n’est pas isolée. Elle s’inscrit dans une logique plus large : celle du relativisme post-national. Une France qui n’ose plus s’aimer. Une télévision qui ne fait plus rêver les enfants avec Clovis ou Louis XIV, mais les éduque à l’abandon de leur propre récit. Dans Le Suicide français, déjà, il dénonçait cette bascule. En 2022, il l’inscrit au cœur de son programme.
Il n’est pas seul à faire ce constat. Même au sein de France Télévisions, certains producteurs reconnaissent une forme de déséquilibre. Les projets qui valorisent les figures historiques traditionnelles, la ruralité, les grandes épopées nationales sont parfois relégués. Ce n’est pas une censure, mais une fatigue. Le roman national, disent certains, ne fait plus recette. Zemmour, lui, répond : ce n’est pas une question de recettes. C’est une question de volonté.
Il veut restaurer un imaginaire. Un imaginaire français. Cela ne signifie pas ignorer les fractures, les évolutions, les pages sombres. Cela signifie les inscrire dans une continuité. Il ne veut pas réécrire l’histoire, il veut qu’on cesse de la déconstruire. Il ne veut pas effacer la diversité, il veut qu’elle se conjugue à un socle. Un socle fait de Jeanne d’Arc, de Bonaparte, de De Gaulle, mais aussi d’Hugo, Péguy, Barrès, Mauriac.
Ce récit n’est pas nostalgique. Il est structurant. Et s’il est absent des écrans publics, c’est selon Zemmour parce que l’élite médiatique a perdu confiance dans la France elle-même. Il ne s’agit pas de rétablir un ministère de la vérité. Il s’agit de rouvrir les fenêtres sur ce que la France a de plus noble à transmettre.
📍L’ARCOM, LE CENSEUR DÉGUISÉ ?
Zemmour ne s’en cache pas : il n’a jamais digéré l’intervention de l’Arcom dans sa trajectoire médiatique. À l’automne 2021, alors que sa candidature n’est pas encore officielle, le régulateur (ex-CSA) décide de comptabiliser son temps d’antenne. CNews se voit contrainte de restreindre ses apparitions. La mécanique est lancée : ce n’est pas encore une campagne, mais c’est déjà une guerre contre le système.
Pour Zemmour, l’Arcom incarne un pouvoir occulte. Non élu, peu connu du grand public, mais capable d’infliger des sanctions, de censurer des chaînes, d’imposer une comptabilité idéologique du débat public. Une « haute autorité » qui, sous couvert d’équilibre, imposerait une asymétrie. Il parle de « censure déguisée », de « police du pluralisme ». Pas parce qu’il refuserait le débat contradictoire. Mais parce qu’il estime que l’Arcom ne régule pas les idées elle régule les écarts. Et l’écart, c’est lui.
Les faits lui donnent parfois matière à nourrir ce discours. En 2020, CNews est sanctionnée de 200 000 euros pour des propos tenus par Zemmour sur les mineurs isolés. En 2021, la chaîne est mise en demeure pour déséquilibre du temps de parole politique. Entre septembre et décembre, il accapare près de 45 % du temps d’expression sur C8. Zemmour n’y voit pas une anomalie, mais une conséquence logique de sa dynamique. Il est devenu, malgré le système, un sujet central. L’Arcom veut le contenir. Lui se pose en révélateur.
Mais le paradoxe est là : cette même Arcom garantit aussi, indirectement, son existence médiatique. C’est elle qui impose aux chaînes de préserver un certain pluralisme. C’est elle qui, en encadrant les puissances audiovisuelles, empêche les exclusions arbitraires. Zemmour le sait. Il joue sur ce fil. Il attaque l’institution, tout en profitant de ses garde-fous.
Il ne propose pas de supprimer l’Arcom. Il ne détaille aucun plan précis de réforme. Sa critique est plus symbolique qu’institutionnelle. Il la présente comme le bras invisible d’un système idéologique. Elle fait partie du décor. Elle protège les formats conformes, punit les divergences. Elle valide l’ordre. Lui incarne le désordre. Et dans cette dramaturgie, l’Arcom devient le préfet de la bienpensance.
Ce n’est pas une bataille réglementaire. C’est un duel moral. Entre le régulateur et le perturbateur. Entre le garant de l’équilibre et celui qui prétend en dénoncer le simulacre. Dans le théâtre médiatique français, cette tension est permanente. Et Zemmour l’a transformée en levier électoral.
📍 UN MODÈLE POUR LE PAF ?
Zemmour ne parle jamais directement de la BBC. Et pourtant, dans les faits, c’est vers ce type de modèle qu’il regarde avec une forme de respect implicite. Un service public puissant, enraciné dans l’histoire nationale, capable de produire du savoir sans sombrer dans l’idéologie. La BBC, malgré ses défauts, continue de rayonner à l’international avec des documentaires comme Planet Earth, des séries comme The Crown, une radio mondialement écoutée. Financement : redevance fixe, 5 milliards de livres, mission claire. Patriotisme discret. Pluralisme réel. Identité assumée.
Mais la France n’est pas le Royaume-Uni. Et le PAF français, lui, a choisi une autre voie. Trop politique pour être populaire. Trop centralisé pour être diversifié. Trop inquiet de lui-même pour porter une voix claire. Dans cette brèche, Zemmour s’engouffre. Il ne veut pas copier un modèle étranger, il veut refonder un modèle français. Ni la BBC, ni Fox News. Quelque chose d’autre : un service public de reconquête culturelle.
Certains pensent qu’il rêve d’un PAF à l’américaine, polarisé, violent, gouverné par des chaînes d’opinion comme Fox. Mais Zemmour le répète : il ne veut pas importer le chaos médiatique des États-Unis. Il veut restaurer la verticalité républicaine de la télévision française. Une télévision qui enseigne. Qui rassemble. Qui transmet. Qui ose dire : voilà ce qu’est la France.
Il salue parfois Arte comme modèle d’excellence. Il dénonce la télé-réalité comme déchéance. Il défend les documentaires historiques, les archives, les productions à forte valeur patrimoniale. Ce n’est pas un programme réactionnaire. C’est une tentative de redonner un horizon au service public. À ceux qui l’accusent de vouloir étouffer les voix minoritaires, il répond que ce sont elles qui ont saturé l’espace, au détriment du socle commun.
Il y a aussi l’exemple allemand : ARD et ZDF, financées par redevance obligatoire, produisent près de 50 % des fictions européennes. Une puissance publique, mais sans activisme moral. Une efficacité industrielle, sans prosélytisme idéologique. Zemmour cite peu ces cas, mais il les connaît. Ce qu’il dénonce, ce n’est pas le service public en soi. C’est la dérive du service public français. Sa perte de cap. Sa soumission à une vision de la France qui ne serait plus ni chrétienne, ni historique, ni même continue.
Il ne veut pas un audiovisuel uniforme. Il veut un audiovisuel cohérent. Un PAF qui ne trahisse pas la France pour mieux l’expliquer. Un PAF qui ne commente pas sa disparition, mais qui participe à sa transmission.
📍 CONTROVERSES ET RÉACTIONS
Dès qu’Éric Zemmour a annoncé vouloir supprimer la redevance et privatiser une partie de l’audiovisuel public, les réactions ont été immédiates, tranchées, souvent viscérales. À gauche, on a crié au sacrilège. À droite, on s’est parfois agacé, parfois inspiré. Et dans les hautes sphères de l’audiovisuel, on a senti le sol trembler.
Jean-Luc Mélenchon a été l’un des premiers à réagir. Pour lui, le projet de Zemmour, comme celui de Marine Le Pen, revient à « livrer l’information aux puissances privées, aux milliardaires, aux amis des amis ». Il défend un service public fort, protégé par la loi, financé par des contributions ciblées, et affranchi du marché. Zemmour, selon lui, confond indépendance et isolement, et utilise la critique des médias comme carburant de son populisme. Mais le fondateur de la France Insoumise est lui-même un habitué des clashs avec les journalistes. Il critique donc l’attaque, mais partage le diagnostic sur le biais idéologique du PAF.
Emmanuel Macron, lui, a préféré récupérer l’idée sans assumer sa radicalité. Il a supprimé la redevance en 2022, mais sans privatiser. Il a choisi un financement par la TVA, qui maintient la structure mais affaiblit la logique de redevabilité directe. Résultat : une réforme technique, sans vision stratégique. Une victoire partielle pour Zemmour, qui s’est empressé de tweeter : « Quand j’attaque, Macron recule. »
Du côté du Rassemblement national, la posture est proche. Marine Le Pen plaidait pour une privatisation totale. Elle ne sauve ni Arte, ni France Culture. Pas de tri, pas d’exception. Une logique de table rase. Zemmour, en ce sens, est plus nuancé. Il cible certaines chaînes, préserve des bastions culturels. Il veut démanteler, pas effacer.
Du côté de France Télévisions, c’est l’alerte rouge. Delphine Ernotte, présidente de l’entreprise, dénonce un « projet de démolition ». Dans une tribune au Monde, elle rappelle que 28 millions de Français regardent chaque semaine les programmes du service public. Que France 2 produit des fictions exportées dans plus de 100 pays. Que le service public finance 40 % des œuvres audiovisuelles françaises. Pour elle, Zemmour ne défend pas la France. Il la rabougrit.
Mais dans les coulisses, certains professionnels, y compris au sein du service public, reconnaissent une forme de lassitude. Des budgets consacrés à des projets communautaires qui ne trouvent pas leur public. Des formats pédagogiques devenus moralisateurs. Une impression, parfois, de double standard. Zemmour ne dit pas tout faux. Il dit ce que d’autres n’osent plus dire.
Et dans l’opinion ? Un sondage Ifop de 2022 indique que 60 % des Français ne font pas confiance aux médias. 35 % jugent l’audiovisuel public « trop orienté à gauche ». Et 25 % se disent favorables à une privatisation partielle. Ce n’est pas une majorité. Mais c’est une brèche. Une brèche que Zemmour a su exploiter.
Reste une question : en dénonçant le système, est-il en train de le réformer, ou simplement de le détruire ? Ses critiques ouvrent un débat. Ses solutions le clivent. Mais une chose est sûre : aucun autre candidat n’a placé le PAF aussi haut dans la hiérarchie des enjeux civilisationnels.
📍 CONCLUSION — UN PAF À L’IMAGE DE LA FRANCE ?
Éric Zemmour n’a pas seulement voulu réformer le PAF. Il a voulu l’arracher à ses automatismes, à son inertie, à son confort idéologique. Là où d’autres parlent de budgets, de répartition du temps de parole ou de grille de programmes, lui parle de civilisation, de langue, de mémoire. Il n’a pas voulu adapter l’audiovisuel public à l’époque. Il a voulu l’extraire de l’époque.
Son projet n’est pas technocratique. Il est symbolique. Supprimer la redevance ? Pour rompre le contrat entre l’État et une télévision qu’il juge militante. Privatiser France Télévisions ? Pour libérer un espace qu’il estime monopolisé par une caste. Sauver Arte, France Culture ? Pour préserver ce qu’il considère comme l’ultime vestige d’un service public fidèle à sa mission. Ce n’est pas une stratégie électorale. C’est une réorientation du regard.
La redevance, effectivement supprimée fin 2022, a été remplacée par un financement via la TVA. Un simple transfert de charge, critiqué jusque dans les rangs de ceux qui réclamaient la réforme. L’allègement fiscal promis s’est dilué dans la masse, et la structure idéologique du PAF n’a pas changé. Le système a reculé sur le symbole, sans rien céder sur l’appareil.
À ceux qui l’accusent de vouloir imposer une télévision univoque, Zemmour répond qu’il veut en finir avec une télévision univoquement hostile à la France. À ceux qui redoutent une chasse au pluralisme, il oppose la certitude que le pluralisme, sans boussole nationale, devient un bavardage stérile. Il ne veut pas faire taire. Il veut réentendre. Il veut que la France parle à la France, et non que le service public serve d’estrade à la déconstruction.
Le paradoxe reste entier : Zemmour est une créature du PAF. Sans France 2, sans Ruquier, sans CNews, il n’aurait jamais pris cette ampleur. Mais c’est précisément parce qu’il connaît la mécanique de l’intérieur qu’il veut en changer les rouages. Il ne s’agit pas de couper le courant. Il s’agit de rebrancher l’appareil à la source : l’amour de la nation.
Le PAF, en 2025, est à la croisée des chemins. Financé désormais par la TVA, concurrencé par les plateformes, fragilisé par la désaffection du public, il reste au cœur d’un conflit latent entre service d’État et reflet national. Zemmour n’a pas gagné l’élection. Mais il a imposé une question : pour qui parle la télévision française ? Et surtout, qui parle encore au nom de la France ?
L’avenir dira si ses idées survivront à son score. Mais une chose est certaine : le débat sur le PAF ne sera plus jamais purement budgétaire. Il est devenu un champ de bataille symbolique. Une arène culturelle. Et Zemmour y a planté son drapeau, à sa manière : frontal, exigeant, radical. Pas pour effacer le paysage. Mais pour redessiner l’horizon.